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Virologie - Chapitre 6

Les Virus Transformants

Dr Richard Hunt
University of South Carolina School of Medicine
Columbia SC 
USA

Dr Dorian McIlroy
Université de Nantes
France

 

      

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Introduction

La transformation maligne (souvent raccourci en "transformation" tout court) est le processus par lequel une cellule normale de l'organisme devient une cellule cancéreuse. Elle peut être induite par différents événements (par exemple, par l'exposition aux carcinogènes chimiques ou l'irradiation ionisante), y compris par l'infection virale. La transformation comprend souvent une perte de contrôle de la croissance, la croissance indépendante de l'ancrage de la cellule, la capacité d'envahir la matrice extracellulaire, la dé-différenciation et l'immortalisation.

La perturbation des contraintes normales sur la prolifération cellulaire qui caractérise la transformation maligne ne peut se produire que d'un nombre de façons strictement limité, et il peut y avoir aussi peu que quarante gènes cellulaires chez lesquels une mutation ou une autre perturbation de leur expression conduit à une croissance cellulaire effrénée.

Il y a deux classes de ces gènes dont l'expression altérée peut entraîner une transformation maligne:

(a) Les gènes qui stimulent la croissance et qui provoquent le cancer lorsqu'ils sont hyperactifs. Des mutations dans ces gènes seront dominantes. Ces gènes sont appelés des oncogènes.

(b) Les gènes qui inhibent la croissance des cellules, et qui provoquent le cancer lorsqu'ils sont inactivés. Des mutations dans ces gènes seront récessives. Ce sont les anti-oncogènes ou des gènes suppresseurs de tumeurs.

L'étude des virus qui provoquent des cancers chez les rongeurs et chez les oiseaux a été extrêmement importante dans l'identification des oncogènes et des anti-oncogènes. Ce chapitre est donc divisé en deux sections. Dans un premier temps, les principales observations chez les virus transformants dans des systèmes modèles seront exposées, afin d'expliquer les mécanismes par lesquels les virus oncogènes à ARN et à ADN provoquent des cancers. Dans un deuxième temps, les virus qui sont impliqués dans le développement de cancers humains seront présentés, et nous verrons en quelle mesure les mécanismes observés dans des systèmes modèles sont pertinents pour la compréhension des cancers humains provoqués par les virus.


 

  Virus transformants chez l'animal

Découverte des virus transformants
Les premiers virus impliqués dans le développement d'un cancer ont été isolés au début du 20ème siècle par Bang et Ellerman au Danemark, et par Peyton Rous aux Etats-Unis. Le virus isolé par Rous était capable de provoquer la formation des sarcomes chez le poulet, d'où son nom, le "Rous Sarcoma Virus" ou RSV. Sa découverte a été récompensée par le prix Nobel de Médecine en 1966.

Une vingtaine d'années plus tard, les premiers virus provoquant des cancers chez les mammifères, le virus du fibrome du lapin et le virus du papillome de Shope, étaient découverts par Richard Shope.

Classes de virus transformants
Les premiers virus associés aux cancers ont des génomes bien distincts. Le RSV, étant un rétrovirus, possède un génome en ARN dans la particule virale, tandis que les virus isolés par Shope sont des virus à ADN. Cette distinction a mené à la classification des autres virus oncogènes, qui ont été identifiés par la suite chez les oiseaux et chez les rongeurs, en deux groupes -

Les virus transformants à ARN, qui sont des rétrovirus, et
Les virus transformants à ADN.

Nous verrons que les stratégies de réplication de ces deux catégories de virus sont très différentes, mais ils ont souvent un aspect de leur cycle de réplication en commun: la capacité d'intégrer leur propre génome dans celui de la cellule hôte. Cette intégration n'est pas toujours une étape indispensable pour la formation de tumeurs.
 

 
  Figure 1
Schéma du cycle de réplication des rétrovirus

 

 

 

Les virus transformants à ARN et la découverte des oncogènes viraux et cellulaires

Les virus transformants à ARN sont des rétrovirus

A la fin des années 1960, les virus transformants à ARN posaient un problème intéressant. Il était connu que le cancer impliquait des modifications dans l'ADN des cellules cancéreuses. Dans ce cas, comment l'infection par un virus à ARN peut-elle mener au développement d'une tumeur? Car pour ce faire le virus doit, d'une façon ou d'une autre, influencer le génome de la cellule infectée – ce qui semblait impossible pour un virus à ARN. Cette énigme fut résolue par la découverte de la transcriptase inverse en 1970 par Howard Temin et David Baltimore (Prix Nobel de Médecine en 1975). Les virus oncogènes à ARN étaient donc les premiers représentants de la classe des rétrovirus, qui possèdent un génome en ARN à l'intérieur de la particule virale qui est transcrit en ADN à l'intérieur de la cellule hôte (Figure 1). La copie en ADN du génome viral s’intègre ensuite dans l'ADN génomique de la cellule infectée, et c'est ce qui permet aux rétrovirus de modifier de façon durable les gènes exprimés au sein de la cellule hôte. Le transfert de l'information génétique d'une molécule d'ARN vers une molécule d'ADN est aussi une violation de ce qui avait auparavant été proposé comme le dogme central de la biologie moléculaire; c'est à dire que l'information biologique passe de l'ADN, puis à l'ARN, et passe enfin aux protéines.


Classification de la famille Retroviridae

La famille Retroviridae est divisée en deux sous-familles, les Orthoretrovirinae et les Spumavirinae.

Les Orthoretrovirinae ont classiquement été sous-divisés en Oncovirinae et Lentivirinae, mais le groupe "Oncovirinae" rassemble des virus assez divers, et ne semble pas représenter un vrai clade phylogénétique. La sous-famille Orthoretrovirinae est donc divisé en différents genres; les Alpha-, Beta-, Gamma-, Delta- et Epsilon- virus, et les Lentivirus.

Le RSV est un Alpharetrovirus, tandis que les virus humains, HTLV-1 et HTLV-2 sont des Deltaretrovirus.

Le HTLV-1 ("Human T-cell lymphotropic virus-1"), qui est transmis par voies sexuelle et intraveineuse, est responsable d’un type de leucémie T de l'adulte. Cette maladie est présente dans certaines îles japonaises, dans les Caraïbes, en Amérique latine et en Afrique.

Le HTLV-2, qui provoque la leucémie à tricholeucocytes, est endémique dans des régions spécifiques des Amériques, en particulier chez les populations amérindiennes.

Les Lentivirinae provoquent des maladies caractérisées par une longue période de latence clinique avant la déclaration des symptômes. Ces virus ont été d'abord identifiés chez les ongulés (par exemple le virus visna, qui infecte les moutons) mais le VIH-1 (virus d'immunodéficience humaine -1) et le VIH-2, qui sont responsables du SIDA, ainsi qu'un grand nombre de lentivirus chez d'autres primates appartiennent à ce groupe.

En ce qui concerne les Spumavirus, il n'existe aucune preuve de leur pathogénicité. Ils établissent des infections persistantes dans de nombreuses espèces animales. Ils ont été isolés à partir des primates (y compris les humains), des bovins, des félins, des rongeurs et des mammifères marins. Les cellules infectées par un Spumavirus ont un aspect mousseux (en raison de nombreuses vacuoles) et forment souvent des syncytia de cellules multinucléées géantes. Les virus mousseux simien ("simian foamy virus") est l'espèce de type du genre Spumavirus. Le virus mousseux humain ("human foamy virus") est une variante du virus spumeux simien, et il est généralement acquis après une morsure de singe.

A retenir – les virus transformants à ARN sont des rétrovirus, mais tous les rétrovirus ne provoquent pas des cancers!
 

HIV1.jpg (9840 bytes) Figure 2A
Virus de l'immunodéficience humaine 
© Dept. de Microbiologie, Université d'Otago, Nouvelle Zélande


Image106.gif (127135 bytes) Figure
2B
Structure d'un retrovirus: le VIH-1.
D'après le Harvard AIDS Institute Library of Images, Critical Path AIDS Project, Philadelphia.


 

  Figure 3
Structure de la protéase du virus de sarcome de Rous (RSV).

Le plug-in Chime est nécessaire pour visualiser la structure.

 

 

 

 

Structure des rétrovirus

Les rétrovirus sont des virus enveloppés d'un diamètre de 80 à 100 nm (Figure 2). L'enveloppe est dérivée de la membrane plasmique de la cellule hôte, et les glycoprotéines d'enveloppe (c'est à dire, les antigènes de surface) sont codées par gène env (enveloppe) du virus. Le gène env code pour une protéine transmembranaire de type 1 qui est traduite par des ribosomes attachés au réticulum endoplasmique. Par la suite, cette protéine primaire est clivée par une enzyme de l'hôte dans l'appareil de Golgi, afin de générer deux glycoprotéines à la surface du virus mature. Ces deux glycoprotéines restent associées: l'une ancrée dans l'enveloppe du virus, qui possède une structure secondaire principalement composée d'hélices alpha et qui fonctionne comme protéine de fusion lors de l'entrée du virus; l'autre possède une structure plus globulaire, qui fonctionne comme glycoprotéine d'attachement.

A l'intérieur de l'enveloppe se trouve une capside icosaèdrique composée de la protéine de capside. La protéine de matrice se trouve à l'extérieur de la capside, tandis que l'ARN viral, associé avec la protéine de nucléocapside, se trouve à l'intérieur de la capside. Les protéines de matrice, de capside et de nucléocapside sont toutes codées par le gène gag (pour "Group-specific AntiGens", ou antigènes spécifiques de groupe) du virus. Le gène gag code pour une polyprotéine, qui est clivée en des différentes protéines de strucure du virus par une protéase virale codée sur le gène pol.

Chaque particule virale incorpore deux molécules d'ARN génomique, ce qui fait que les rétrovirus sont diploïdes. L'ARN génomique est brin (+), et comme un ARNm possède une coiffe en 5 'et une queue polyA en 3'.

Environ 10 copies de la transcriptase inverse et de l'intégrase sont présentes dans la particule virale mature. Ces enzymes, comme la protéase virale, sont codées par le gène pol. Comme le gène gag, le gène pol est d'abord traduit en une polyprotéine qui est ensuite découpée pour libérer les différents produits matures du gène pol, qui sont:

a) la protéase (clive les polyprotéines traduites de l'ARNm du gène gag et du gène pol lui-même. Figure 3).
b) la transcriptase inverse (une polymérase, qui copie l'ARN génomique du virus en ADN)
c) la RNase H (le produit initial de la transcriptase inverse est un hétéroduplexe ARN-ADN. La RNase H clive l'ARN de cet hétérodimère, ce qui permet à la transcriptase inverse de synthétiser le second brin complémentaire d'ADN, et ainsi de compléter la transcription de l'ARN simple brin du virus en une copie en ADN double brin)
d) l'intégrase (insert le génome viral dans le génome de l'hôte)

La protéase, la transciptase inverse, et l'intégrase sont des cibles de différentes classes de médicaments anti-rétroviraux.


 

hivstage.gif (28491 bytes)  Figure 4 Etapes dans l'infection productive d'une cellule par un rétrovirus.

 

 

Cycle de réplication des rétrovirus

Le cycle de réplication des rétrovirus (Figure 4) est composé des étapes suivantes:

1) Attachement du virus sur son récepteur cellulaire via la glycoprotéine d'attachement de l'enveloppe virale.

2) Entrée par endocytose ou par fusion directe avec la membrane plasmique. L'acidification dans un endosome peut être nécessaire pour induire la fusion, tandis que chez d'autres rétrovirus, (par exemple le VIH) c'est l'interaction avec un co-récepteur qui permet la fusion entre l'enveloppe virale et la membrane plasmique

3) L'ARN brin (+) est copié par la transcriptase inverse à l'ADN brin (-). Ici, la polymérase agit comme une polymérase à ADN dépendante de l'ARN. Puisque la transcriptase inverse est une polymérase à ADN, elle a besoin d'une amorce. Il s'agit d'un ARNt qui est incorporé dans la particule virale à partir de la cellule hôte précédente.

4) L'ARN est déplacée et dégradée par une activité RNase H. La transcriptase inverse agit maintenant comme une ADN polymérase ADN-dépendante et copie le nouvel ADN brin (-) en une copie ADN double brin. Cette forme de l'ADN du virus est appelée un provirus.

5) L'ADN proviral double brin est inséré dans l'ADN de la cellule hôte (voir ci-après) à l'aide d'une intégrase virale incorporée dans la particule virale. Cet ADN est copié à chaque fois que l'ADN cellulaire est copié. A ce stade, au niveau moléculaire, le provirus est exactement comme un gène cellulaire normal.

6) La totalité de l'ARN génomique brin (+) est transcrit à partir de l'ADN proviral intégré par l'ARN polymérase II de l'hôte. L'ARN génomique est coiffé et polyadenylé, tout comme un ARNm cellulaire.

Cet ARN génomique complète sert également d’ARNm codant pour les polyprotéines Gag et Pol.

L'ARN génomique est épissé par des enzymes nucléaires de l'hôte pour donner les ARNm des autres protéines virales telles que Env. L'ARN de certains rétrovirus plus complexes tels que le HTLV-1 et le VIH subit un épissage multiple (voir chapitre 7, VIH).
Un avantage de ce mode de réplication est qu'il permet la réplication du virus dans des cellules différenciées qui ne se divisent plus, puisque la seule polymérase de la cellule hôte usurpée par le virus est l’ARN polymérase II, qui est présente dans toutes les cellules.
 

 
 

 

 

 

Mécanisme de réplication génomique des rétrovirus

L'utilisation de l'ARN polymérase II de l'hôte pour recopier le génome viral à partir de l'ADN proviral entraine des problèmes majeurs pour le virus, dont: 

1) l'ARN polymérase II ne copie pas les séquences de régulation en amont et en aval des gènes. Il ne fait que copier les informations nécessaires pour fabriquer des protéines virales.

2) L'absence de correction d'erreurs de copie par l'ARN polymérase II.

L'ARN polymérase II ne transcrit pas tout l'ADN proviral

Le problème vient du fait que, lors de la transcription des gènes, l'ARN polymérase II a besoin de sites de reconnaissance et de contrôle en amont du site d'initiation de transcription. Le site en amont ou se fixe la molécule de la polymérase est appelé le promoteur. Les promoteurs ne sont pas eux-mêmes copiés en ARNm, car après sa liaison au promoteur, la polymérase commence la transcription à un site en aval du promoteur. La polymérase continue à transcrire l'ADN en ARN jusqu'à ce qu'il atteigne un signal de terminaison / polyadenylation. Les séquences de l'ADN proviral en aval du site de polyadenylation ne sont pas copiées par l'ARN polymérase II. De plus, en amont du promoteur proviral se trouvent des séquences de contrôle qui modulent la transcription du gène. Elles sont appelées des  enhanceurs. Ce sont des éléments essentiels de tout gène qui doivent être présents à proximité du promoteur pour que l'ARN polymérase II puisse initier la transcription. Ces séquences ne sont pas copiées en ARN

En effet, l'ARN polymérase II de la cellule hôte a pour fonction de produire de l'ARN messager, qui est une copie jetable d'une partie seulement du génome de la cellule. Pour fabriquer une protéine, la molécule d'ARNm n'a pas besoin des séquences de contrôle du gène d'origine. Ainsi, l'utilisation de l'ARN polymérase II de l'hôte devrait avoir comme conséquence que les séquences de contrôle dans l'ADN proviral d'origine ne sont pas recopiées dans l'ARN génomique du virus.

Cela signifie que soit l'ADN proviral du virus doit s'intégrer dans l'ADN de l'hôte en aval d'un promoteur, et en amont des sites de terminaison d'un gène de l'hôte – qui statistiquement doit être quasi-impossible – ou alors, il doit trouver un moyen de fournir ses propres séquences de contrôle, malgré le fait que, comme nous venons de voir, ces séquences ne sont pas recopiés dans l'ARN génomique par l'ARN polymeras II de l'hôte. En effet, le virus réussit cette deuxième option par un tour de passe-passe moléculaire aussi élégant que complexe.

 

Comment un rétrovirus peut-il fournir ses séquences régulatrices de la transcription si elles ne sont pas transcrites lorsque l'ADN proviral est copié sous forme d'ARN génomique?

Voici un résumé bref et très incomplet de la façon dont un rétrovirus réussit à copier ses séquences régulatrices à chaque cycle de réplication virale. Ce processus est également illustré par une animation Flash.

 

 

1) L'ARN viral est composé de trois régions. A chaque extrémité sont des séquences répétées (appelées, sans surprise, des répétitions terminales). Les séquences répétées (R) (en vert sur la figure 15) ne codent pas pour des protéines. Entre les deux répétitions, il y a une région unique (non répétée) qui comprend les gènes viraux codant pour les polyprotéines (gag, pol et env) ainsi que d'autres séquences uniques à chaque extrémité qui ne codent pas pour des protéines. Près de l'extrémité 5 'du génome se trouve est la région U5 (pour séquence Unique 5') et près de l'extrémité 3' est la région U3 (Unique 3'). La séquence PBS ("Primer Binding Site" Figure 5) est le site de liaison des amorces. L'ARNt se lie ici et permet à transcriptase inverse d'initier la synthèse de l'ADN à partir l'ARN génomique du virus. La PPT (PolyPurine Tract) est une séquence polypurinique (nucléotides A et G).

2) L'ADN proviral du virus est plus compliqué. Nous constatons que la région U3 de l'ARN génomique a été copiée et transposée à l'extrémité opposée du génome. Inversement, la région U5 a été copiée et transposée à l'autre extrémité. Cela donne à l'ADN intégré la structure représentée dans la Figure 5B. Pour plus de commodité, un seul brin de l'ADN est affiché.

 

 

La rétrotranscription de l'ARN viral en ADN proviral s'effectue comme suit :

1) Début de la transcription inverse. La synthèse de l'ADN démarre à l'ARNt situé au PBS, et continue jusqu'à l'extremité 5' de l'ARN viral. Ce premier brin d'ADN complémentaire comprend donc les séquences complémentaire aux régions U5 et R de l'ARN génomique. L'activité RNase H de la transcriptase inverse (qui détruit l'ARN uniquement quand celui-ci fait partie d'un hétéroduplexe avec de l'ADN) dégrade les régions U5 et R à l'extrémité 5' de l'ARN viral.
2) Premier transfert de brin. L'ADN complémentaire à la séquence R est désormais simple brin, et peut s'hybrider avec la séquence R qui se trouve à l'extrémité 3' de l'ARN génomique. La transcription inverse redémarre, et cette fois-ci, la totalité de l'ARN génomique peut être recopiée, jusqu'à la séquence PBS (car les séquences U5 et R ont été détruites précédemment par l'activité RNase H). Ensuite, l'activité RNase H de la transcriptase inverse dégrade l'ARN génomique qui vient d'être recopié en ADN, à l'exception de la région PPT, qui résiste à son activité enzymatique.
3) Début de la synthèse du deuxième brin. L'ARN de la séquence PPT est utilisé comme amorce pour démarrer la synthèse du deuxième brin de l'ADN proviral. Ce deuxième brin comprend les séquences U3, R et U5. La séquence PBS est également copiée, car l'amorce en ARNt forme toujours l'extrémité 5' du premier brin d'ADNc, créant une région d'hétéroduplexe ARN-ADN qui sera par la suite dégradé par l'activité RNase H.
4) Deuxième transfert de brin. La région PBS du deuxième brin d'ADNc se trouve désormais sous forme d'ADN simple brin, et peut s'hybrider avec la séquence complémentaire au PBS qui forme l'extrémité 3' du premier brin de l'ADNc. Ce transfert de brins place la séquence U3-R-U5-PBS en position d'amorce pour la synthèse du reste du deuxième brin d'ADNc. En même temps, le premier brin d'ADNc sera complété, en utilisant les séquences U3-R-U5 comme matrice.

Par ce processus quelque peu complexe, l'ARN simple brin du génome viral est copié en ADN double brin qui possède des répétitions terminales plus grandes, car les régions U3 et U5 sont aussi présentes à chaque extrémité du génome. Les régions U3-R-U5 sont connues comme les longues répétitions terminales ou LTR. La région U3 contient toutes les séquences du promoteur qui sont nécessaires pour démarrer la transcription de l'ARN viral au début de la région R, tandis que la région U5 contient toutes les informations nécessaires pour terminer la transcription après l'autre séquence R. En outre, les LTR contiennent de l'information qui améliore le degré de transcription des trois gènes rétroviraux (régions dites "Enhanceur"). Ces activateurs se trouvent principalement en amont de la région promoteur en U3, mais peuvent comprendre des éléments qui se chevauchent avec la partie codante du génome viral.

L'ARN polymérase II de l'hôte copie de l'ADN proviral en ARN génomique. Puisque le site d'initiation de la polymérase se trouve après le promoteur en U3, la transcription commence exactement au début de la région R (Figure 6). Ainsi, nous obtenons un copie fidèle (ou presque - voir ci-dessous) de l'ARN qui est entré dans la cellule. Les séquences de terminaison et de polyadenylation sont comprises dans la région U5, qui également n’est pas copié en ARN.
 

   
A rnacr.gif (3677 bytes)  5A Structure du génome rétroviral en ARN simple brin qui se trouve à l'intérieur de la particule virale
B
dnacr.gif (4107 bytes)
5B Structure d'un génome proviral d'un rétrovirus, en ADN double-brin intégré dans le génome de la cellule hôte.
Figure 5

 

 

ltr3cr.gif (4128 bytes)  Figure 6 Les LTRs sont perdues lors de la transcription de l'ADN proviral à partir du LTR par l'ARN polymérase II. Animated version here


 


En raison de ce mécanisme, il peut y avoir qu'un seul site de promoteur (à partir de la région U3) pour les trois gènes viraux. Ils doivent donc être transcrits tous ensemble, et la machinerie d'épissage de la cellule hôte prend en charge le transcrit primaire pour former les différents ARNm (notamment l'ARNm codant pour les glycoprotéines de l'enveloppe). (Voir le chapitre 7, traitant du VIH, chez lequel les mécanismes précis de contrôle d'expression génique ont été bien élucidés). Contrairement à la situation chez des virus oncogénes à ADN, il n'y a pas de distinction entre les gènes précoces et tardifs.

On peut se demander pourquoi, si la région U5 contient les séquences de terminaison de transcription et des sites de polyadenylation, la transcription ne se termine pas tout simplement à la fin de la première région R de la LTR (Figure 5b) sans jamais entrer dans les régions du génome codant pour les protéines virales. La fonction du site de terminaison de la première séquence U5 est supprimée, souvent par un mécanisme complexe impliquant la structure secondaire de l'ARN qui vient d'être transcrit. Chez certains rétrovirus une séquence spécifique dans le gène gag fournit le contexte pour supprimer l'activité de la fin de la première U5. Clairement la seconde séquence U5 n'a pas de gène gag suivant, et la transcription est donc terminée.

Cette stratégie de réplication dans lequel l'ARN viral est d'abord copié en ADN (par la transcriptase inverse) qui ensuite sert de matrice pour la production des ARNm et des protéines virales pose un autre problème pour le virus. La première étape (ARN à l'ADN) est réalisée par une enzyme virale qui n'est pas normalement dans la cellule. Pourtant, cette étape de transcription doit avoir lieu avant que la transcription de l'ARNm ou la traduction des protéines virales peuvent se produire. Afin de résoudre ce problème, le virus transporte une dizaine de copies de la transcriptase inverse dans la cellule avec elle. Celles-ci ont été incorporées lorsque le virus a été assemblé dans la cellule hôte précédente. En théorie, l'ARN génomique du virus rentrant dans la cellule pourrait agir comme un ARNm, mais en réalité son association avec la nucléocapside et d'autres protéines virales l'en empêche. Ainsi, aucune expression des gènes viraux n'est possible avant l'intégration de l'ADN proviral dans le génome de la cellule hôte, ce qui nécessite l'activité de la transcriptase inverse et de l'intégrase virales.
 

 

 

 

onco2.jpg (57386 bytes) Structure génomique d'un rétrovirus typique et d'un rétrovirus porteur d'un oncogène viral (Virus de Sarcome de Rous)

Figure 7

 

 

onco3.jpg (90987 bytes) Certains rétrovirus transformant portent un oncogène à la place de l'un de leur gènes essentiels
Figure 8

 

Les oncogènes chez les rétrovirus à fort potentiel transformant

La structure présentée dans la Figure 5a et la partie supérieure de la Figure 7 montre le génome d'un rétrovirus typique comportant les gènes de gag, pol et env dont aucun des trois n'est oncogène. Si le virus devra transformer une cellule normale en cellule cancéreuse, il doit comporter un gène, en plus des gènes gag, pol et env qui est capable de perturber le contrôle du cycle cellulaire et d'induire le phénotype transformé. On doit donc trouver un oncogène viral chez les rétrovirus qui sont capable de transformer le phénotype de chaque cellule infecté vers celui d'une cellule néoplasique. Il est important d'insister sur le fait que cet oncogène n'est pas nécessaire pour la réplication du virus – il s'agit d'un gène supplémentaire qui confère au virus la capacité de transformer la cellule hôte.

 

Le premier oncogène de ce type a été identifié chez le virus de sarcome de Rous (RSV). Puisque ce virus induit des sarcomes, l'oncogène fut appelé src. Le RSV possède un gènome gag/pol/env complète, suivi de l'oncogène src (Figure 7). La délétion ou des mutations dans le gène src ne modifient pas la réplication du virus, mais rendent le virus incapable d'induire des tumeurs. Le RSV est un exemple unique parmi les rétrovirus à fort potentiel transformant, en ce sens que l'incorporation de l'oncogène src dans son génome n'a pas perturbé les gènes gag, pol et env qui sont essentielles pour la réplication virale.

 

Chez les autres rétrovirus à fort potentiel transformant, une partie du génome viral a été remplacée par l'oncogène (Figure 8). Il s'ensuit deux conséquences:

1)      La protéine encodée par l'oncogène est souvent exprimée comme une protéine de fusion avec une partie d'un gène viral.

2)      Les rétrovirus ayant incorporé un oncogène sont défectueux, et ne sont pas capables de se répliquer de façon autonome. Ils ont donc besoin d'une co-infection par un virus auxiliaire (le rétrovirus "wild-type" qui ne possède pas l'oncogène). 

Une quarantaine d'oncogènes ont été identifié par l'étude de rétrovirus transformants. Chacun est désigné par un code à trois lettre, qui le plus souvent est dérivé du nom du virus chez lequel l'oncogène a été décrit. Puisqu'il s'agit d'oncogènes présents dans des génomes viraux, le nom de l'oncogène est précédé par un "v". Quelques exemples sont:

 

Virus Oncogène
Rous sarcoma virus v-src
Simian sarcoma virus v-sis
Avian erythroblastosis virus v-erbA ou v-erbB
Kirsten murine sarcoma virus v-Kras
Moloney murine sarcoma virus v-mos
MC29 avian myelocytoma virus v-myc
   
 
Les proto-oncogènes sont présents chez les cellules non-transformées

Suite à l'identification d'oncogènes viraux, une découverte étonnante (récompensée par le Prix Nobel de Médicine en 1989) a été faite – la présence d'homologues des oncogènes rétroviraux dans l'ADN des cellules non-cancéreuses, qui n'avaient pas été infectées par un rétrovirus. Ces homologues sont souvent impliqués dans le contrôle de la croissance et de la différenciation cellulaires. Certains peuvent provoquer le développement des cancers sous certaines conditions (par exemple, quand ils sont surexprimés). Les homologues cellulaires des oncogènes rétroviraux sont appelés des "proto-oncogènes". Afin de distinguer les oncogènes viraux de leurs homologues cellulaires, les deux types de gène sont désignés comme de "v-onc" et des "c-onc", respectivement. Les v-onc sont d'origine cellulaire (et non pas l'inverse – c'est à dire que les c-onc ne sont pas d'origine viral). Il est probable que les rétrovirus transformants ont incorporé toute ou partie d'un c-onc dans leur génome, qui par la suite a été modifié lors des multiples cycles de réplication du virus.

Caractéristiques des proto-oncogènes cellulaires

1) Ce sont des gènes cellulaires typiques, qui comme la plupart des gènes eucaryotes sont composés de plusieurs exons et introns. (tandis que les oncogènes rétroviraux – les v-onc – ne possèdent pas d'introns)

2) Ils sont transmis de génération en génération de façon Mendélienne, car il s'agit de gènes cellulaires "normaux", qui remplissent des fonctions cellulaires essentielles.

3) Comme pour tous les gènes d'un génome eucaryote, ils se trouvent toujours au même locus dans le génome. (pour comparaison; à quoi pouvait-on s'attendre si des rétrovirus porteurs des v-onc s'étaient intégrés dans le génome cellulaire ?)

4) Ils ne sont pas associés aux séquences LTR (les v-onc sont toujours entourés des LTR)

5) Les oncogènes rétroviraux ressemblent les c-onc de leur espèce hôte. Par exemple, le v-src du RSV est plus proche du c-src du poulet que du c-src humain.

6) Les oncogènes cellulaires sont exprimés à un moment précis dans la vie de la cellule – lorsqu'elle se divise et se différencie, par exemple, mais ne sont pas exprimés de façon constante dans une cellule non-cancéreuse. Les protéines exprimées à partir des c-onc sont généralement impliquées dans le contrôle de la croissance et du cycle cellulaire.

7) Les oncogènes cellulaires sont fortement conservés.

Dès lors que l'on se rend compte des ressemblances entre les c-onc et les v-onc, une question qui se pose est la suivante: pourquoi les v-onc provoquent-t’ils un tel dérèglement de la croissance cellulaire? La réponse se trouve dans les différences entre les v-onc et les c-onc, en particulier les mutations qui se sont accumulées chez les v-onc pendant, ou à la suite de leur incorporation dans le génome rétroviral. Par exemple:

Des substitutions ou délétions dans la séquence des v-onc qui résultent en la traduction d'une protéine avec une fonction modifiée.

Les v-onc sont souvent exprimés sous forme de protéines de fusion avec un gène viral. Encore une fois, la fonction d'un tel v-onc sera modifiée par rapport au c-onc.

L'expression des v-onc est sous le contrôle du LTR rétroviral, et non pas sous le contrôle des séquences régulatrices de son c-onc homologue. Ceci résulte en la surexpression du v-onc.
 

proins2.jpg (68584 bytes) Oncogénèse par insertion du promoteur. La LTR agit comme promoteur, induisant une expression abérrante d'un oncogène cellulaire. 
Figure 9

enhanins2.jpg (82601 bytes) Oncogénèse par insertion d'enhanceur. L'oncogène cellulaire est exprimé à partir de son propre promoteur, mais le niveau d'expression est augmenté par l'action enhanceur de la LTR rétrovirale.
Figure 10

 

A chromo.jpg (83345 bytes) Les oncogènes cellulaires se trouvent à des sites spécifiques sur l'ADN génomique.

B chromo2.jpg (107857 bytes) De nombreux sites de cassure chromosomique observés dans les cellules cancéreuses se trouvent à proximité d'un oncogène cellulaire.
Figure 11

 

 

 

 

Les rétrovirus à faible potentiel transformant ne portent pas de v-onc

Parmi les rétrovirus transformant, deux types de virus se distinguent. Les rétrovirus à fort potentiel transformant - comme le RSV - qui induisent des tumeurs rapidement chez presque 100% des animaux infectés (d'où le nom, "acutely-transforming retroviruses"), et les rétrovirus à faible potentiel transformant - comme par exemple, le Avian Leukosis Virus (ALV) - qui induisent des tumeurs chez une proportion plus faible des animaux infectés, après un laps de temps plus long (d'où le nom, "chronically-transforming retroviruses"). Ces derniers ne possèdent pas d'oncogène viral, et sont dotés uniquement des gènes rétroviraux gag/pol/env standards.

Comment font les rétrovirus à faible potentiel transformant pour induire des tumeurs en l'absence d'un oncogène viral?

Comme tous les rétrovirus, l'ALV s’intègre dans le génome de la cellule hôte de façon aléatoire. En revanche, chez les cellules tumorales, le génome proviral se trouve toujours à proximité d'un oncogène cellulaire appelé c-myc. Ce qui semble se passer, est que la très grande majorité des cellules infectées par l'ALV ne sont pas transformées par le virus, mais dans des rares cas, lorsque le virus s'intègre à proximité du gène c-myc, la cellule infectée est transformée. La croissance de ce rare clone cellulaire forme la tumeur. Le niveau d'expression du c-myc est beaucoup plus élevée chez les cellules transformées que chez les cellules non-infectées.

L'insertion du provirus d'ALV à proximité du gène c-myc peut induire la surexpression de ce dernier par deux mécanismes.

1) Lorsque le provirus s'intègre en amont du gène c-myc, le promoteur du LTR induit la transcription constitutive du gène c-myc. Ce mécanisme est appelé transformation par insertion du promoteur (Figure 9).

2) Dans certaines tumeurs, l'ADN proviral se trouve en aval du gène c-myc. Dans ce cas, les éléments enhanceurs dans la LTR proviral augmente le niveau de transcription à partir du promoteur autologue du gène c-myc. Ce mécanisme est appelé transformation par insertion d'enhanceur (Figure 10).

Pourquoi l'insertion à proximité du gène c-myc est-elle si importante? La protéine encodée par le gène c-myc est localisée dans le noyau, et joue un rôle dans le contrôle de la synthèse de l'ADN. La surexpression du c-myc (indépendamment d'une infection par l’ALV) mène à réplication incontrôlée de l'ADN.

 

L'implication des oncogènes cellulaires dans des cancers non-induits par des virus

L'identification des oncogènes viraux chez les rétrovirus a mené à la découverte des gènes homologues (appelé proto-oncogènes) qui se trouvent dans toutes les cellules. Normalement, l'expression des proto-oncogènes cellulaires est strictement contrôlée par la cellule, car ils sont impliqués dans la division cellulaire. Toutefois, nous venons de voir que l'infection par un rétrovirus peut induire le cancer de deux façons: soit il peut porter un oncogène viral dans la cellule, soit l'intégration de l'ADN proviral peut activer l'expression d'un proto-oncogène cellulaire.

Est-il possible qu'un dérèglement de l'expression ou de la fonction des c-onc puisse provoquer le cancer en l'absence d'une infection virale? La réponse est oui. Des remaniements chromosomiques peuvent transférer un c-onc sous le contrôle d'un autre promoteur/enhanceur, menant à la surexpression de l'oncogène, ou menant à l'expression d'une protéine de fusion entre le c-onc et un autre gène. Des mutations ponctuelles (induits par exemple, par des mutagènes chimiques, comme le tabac) dans des c-onc peuvent également modifier leur fonction.

 

Oncogènes cellulaires et remaniements chromosomiques

En ce qui concerne les remaniements chromosomiques, de nombreuses tumeurs sont caractérisées par un caryotype aberrant, comprenant en particulier des translocations chromosomiques (transfert d'un segment chromosomique à un bras d'un autre chromosome). Dans de nombreux cas, les sites de translocations dans les cellules tumorales sont à proximité d'un c-onc (Figure 11). Etant donné le nombre relativement restreint de c-onc dans le génome humain, cette distribution de translocations chez les cellules tumorales ne peut pas être dû au hasard.
 

 

 

 

 

Cancer c-onc Remaniement chromosomique
Lymphome de Burkitt* Myc t(8:14)
Leucémie aigüe myéloblastique AML1-ETO t(8:21)
Leucémie aigüe lymphoblastique B BCR-abl t(9:22)
Leucémie myéloïde chronique BCR-abl t(9:22)
Leucémie aigüe promyélocytaire PML-RAR t(15:17)
Cancer de l'ovaire myb t(6:14)

* Dans le cas du lymphome de Burkitt le gène c-myc sur le chromosome 8 est ramené à un site au chromosome 14 à proximité du gène de la chaîne lourde des immunoglobulines. Le gène c-myc se trouve donc sous le contrôle du promoteur de ce dernier, qui est très actif chez les lymphocytes B. Cette tumeur est donc une transformation maligne des lymphocytes B.
De plus, le lymphome de Burkitt est associé à l'infection par le virus Epstein-Barr, un -Herpesvirus qui infecte les lymphocytes B. Les Herpesvirus provoquent des remaniements chromosomiques chez les cellules infectées, et si l'un des remaniements résulte en la translocation 8:14, le gène c-myc se trouvera à proximité du promoteur du gène de la chaîne lourde des immunoglobulines, qui est justement actif chez les cellules infectées par le virus Epstein-Barr.
 

 

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onco1.jpg (78886 bytes)   Différentes façons par lesquelles la modification des proto-oncogènes cellulaires peuvent induire la transformation cellulaire.
Figure 12

Image109.gif (12944 bytes)

Les différentes classes de protéine codées par des proto-oncogène cellulaires
GF = Facteurs de croissance (Growth Factors)
REC = Récepteurs membranaires
GP = Transducteurs de signal à protéine-G
KINASE = Tyrosine kinases membranaires
CYT KINASE = Kinases cytoplasmiques


Figure 13

 

 

 

 

Oncogènes cellulaires et mutations

Un exemple de mutations ponctuelles qui activent un c-onc lors du développement du cancer concerne le proto-oncogène K-Ras, qui a initialement été identifié comme un v-onc dans le génome de la souche Kirsten du virus de sarcome murin. Dans environ 90% des carcinomes du pancréas, le gène K-Ras est  muté chez les cellules tumorales. La plupart du temps la mutation implique la substitution d'un valine à la position 12 de la protéine à la place du glycine, qui est présent dans la protéine sauvage. Cette mutation ponctuelle rend la protéine constitutivement active, et induit la prolifération cellulaire. Les mutations ponctuelles dans les différents proto-oncogènes de la famille Ras (K-Ras, H- Ras, et N- Ras) sont présentes dans 20 à 30% des cancers humains, tous types de tumeur confondus.

Quelles sont les fonctions normales de proto-oncogènes cellulaires?

Comme indiqué ci-dessus, les c-onc sont des gènes cellulaires normaux qui remplissent des fonctions essentielles dans le contrôle du cycle cellulaire. Ils sont impliqués dans la synthèse de l'ADN et les voies de signalisation qui mènent à la mitose et à la prolifération cellulaire. Les c-onc peuvent être divisés en deux groupes: ceux qui codent pour des protéines nucléaires, et ceux qui codent pour des protéines extra-nucléaires. Ces derniers sont, pour la plupart, associés à la membrane plasmique (Figures 12 et 13)

 

Oncogènes cellulaires codant pour des protéines nucléaires: eg. myc, myb. Ces protéines sont soit des facteurs de transcription, soit des protéines directement impliquées dans le contrôle de la réplication de l'ADN. Le néoplasie est associé avec une expression constitutive de ce type d'oncogène, tandis que l'expression de ces gènes chez la cellule normale est strictement contrôlée. En revanche, un fort niveau d'expression n'est pas toujours nécessaire.

Oncogènes cellulaires codant pour des protéines cytoplasmiques ou associées à la membrane plasmique: eg. abl, src, ras, erbB. Dans des tumeurs ce type d'oncogène ne montre pas de modification du niveau d'expression – par exemple, la surexpression de la forme sauvage du src n'induit pas la transformation cellulaire. En revanche, les formes mutées de ces protéines (que ce soient des v-onc, ou des c-onc ayant été touchés par des mutations ponctuelles) sont constitutivement actives, tandis que les formes normales de ces c-onc sont actives de façon ponctuelle. Si l'on considère les proto-oncogènes de ce groupe comme des interrupteurs moléculaires, les formes mutées sont des interrupteurs qui restent coincées sur la position "On".

 

Dans les deux cas, la mutation dans un c-onc est dominante. Par exemple, si un allèle du gène erb-B (un homologue du récepteur du facteur de croissance EGF) incorpore une mutation qui le rend  constitutivement actif (c'est à dire que son activité de tyrosine kinase n'est pas dépendant de la présence de l'EGF), la prolifération cellulaire sera engagée en permanence, même si le deuxième allèle est normal.

 

Fonction de la protéine codée par le proto-oncogène cellulaire Exemples
Facteur de transcription (nucléaire) Myc
Facteur de croissance (secrétée) sis : le v-onc sis est une forme modifiée de la chaîne B du PDGF (Platelet Derived Growth Factor)
Récepteurs des facteurs de croissance

erb-B : récepteur du facteur de croissance EGF (Epidermal Growth Factor)

fms :  récepteur du facteur de croissance M-CSF (Macrophage Colony Stimulating Factor)

 

Signalisation à la face interne de la membrane de la fixation d'un facteur de croissance src : tyrosine kinase membranaire
Protéines à activité GTPase impliquées dans la transduction du signal de la membrane cellulaire au noyau Ras

   

Le flux d'information chez un virus à ADN est semblable à celui chez une cellule eucaryote.
Figure 14

La découverte des oncogènes cellulaires a ouvert la voie à l'élucidation des mécanismes par lesquels les cancers qui ne sont pas induits par des virus peuvent se produire.

Nous examinerons les fonctions des produits protéiques des oncogènes viraux et cellulaires dans la cellule infectée et dans les cellules où les proto-oncogènes cellulaires sont exprimés. Nous verrons que leurs fonctions suggèrent fortement des mécanismes par lesquels les cellules peuvent être transformées en un phénotype néoplasique. La découverte des oncogènes cellulaires a conduit à la découverte d'une autre classe de gènes cellulaires, les gènes suppresseurs de tumeur ou anti-oncogènes.

Initialement, l'implication des oncogènes viraux et cellulaires dans les tumeurs provoquées par des rétrovirus était beaucoup plus apparente que l'implication des oncogènes portés par des virus à ADN, mais la découverte de gènes suppresseurs de tumeurs a conduit à l'élucidation du mode d'action des oncogènes chez les virus à ADN.

Il convient de noter que, bien que les rétrovirus aient contribué à l'élucidation des mécanismes de la carcinogénèse, l'immense majorité des cancers humains ne sont pas le résultat d'une infection rétrovirale (bien que les rétrovirus représentent une cause importante de cancers chez certains animaux). Les virus à ADN, en revanche, sont associés à plusieurs types de cancer humain.



Les virus transformants à ADN et la découverte des anti-oncogènes cellulaires

Les premiers virus à ADN associés à des cancers étaient le virus du fibrome du lapin, et le virus du papillome de Shope, tous les deux découverts par Richard Shope dans les années 1930. Les papillomes sont des tumeurs bénignes, comme les verrues, des cellules épithéliales. Richard Shope a découvert ces deux virus en préparant un extrait filtré d'une tumeur à partir d'un lapin de garenne, qu'il a injecté à un autre lapin, chez lequel un papillome bénin a développé. Toutefois, lorsque le filtrat a été injecté dans un lapin domestique, le résultat était un carcinome, qui est une tumeur maligne. Une observation importante était qu'il n'était plus possible d'isoler le virus infectieux à partir de la tumeur maligne parce que le génome du virus s'était intégré dans les chromosomes des cellules malignes.


Les virus transformant à ADN possèdent un génome en ADN qui est transcrit en ARNm par la polymérase de la cellule hôte, qui est ensuite traduit en protéines (Figure 14). Ces virus ont deux modes d'infection :

1: Dans les cellules permissives, toutes les parties du génome viral sont exprimés. Cela conduit à la réplication virale, la lyse cellulaire et la mort cellulaire

2: Dans les cellules qui sont non permissives pour la réplication virale, de l'ADN viral peut être intégré à des sites aléatoires dans les chromosomes de la cellule hôte. Seule la partie du génome viral comportant les gènes précoces (par exemple, l'antigène T des Polyomaviridae) est exprimée. Les protéines structurales du virus ne sont pas produites et aucune particule virale n’est libérée.
 

sv40.jpg (50763 bytes) Polyomavirus SV40 en microscopie électronique à transmission. Dr Erskine Palmer CDC.
Figure 15A

 

Figure 15B
 Human polyomaviruses and associated diseases.
The organs to which each human polyomavirus has tropism and causes disease.
doi:10.1371/journal.ppat.1003206.g001
From: The Rapidly Expanding Family of Human Polyomaviruses: Recent Developments in Understanding Their Life Cycle and Role in Human Pathology. Martyn K. White, Jennifer Gordon and Kamel Khalili. PLOS Pathogens. Used under Creative Commons License
 

Les virus transformants à ADN dans des systèmes modèles

Polyomaviridae

Les Polyomaviridae sont de petits virus à ADN icosaédriques non enveloppés (Figure 15). La protéine majeure de capside, VP1, est présente sous forme de 72 pentamères dont chaque pentamère est associé à une molécule d'une protéine de capside mineure, soit VP2 ou VP3. L'ADN à l'intérieur du virion est complexé avec des protéines histones codées par la cellule hôte.
Les Polyomaviridae ont un génome en ADN double brin circulaire d'environ 5 kilobases de longueur pour au moins 2 protéines précoces (les antigènes "T" et "t") et les protéines tardives formant la capside (VP1, VP2/3).

Le Virus Polyoma murin
Le virus polyoma murin a été ainsi nommée parce qu'il provoque la formation de tumeurs diverses chez différentes espèces animales, à de nombreux sites différents. Il a été initialement isolé de la souche de souris AK, et il se réplique de façon efficace dans les cellules de souris. Il provoque des leucémies chez les souris et les hamsters.

Le virus SV40
Le virus SV40 (Figure 15) a été découvert dans les cellules de rein de singe rhésus utilisées pour la culture du virus de la poliomyélite lors de la fabrication du vaccin inactivé Salk. Il a été constaté que lorsque le virus de la poliomyélite inactivé a été ajouté à cellules de rein de singe vert, le vaccin provoquait un effet cytopathogène (CPE) indicatif de la présence d'un virus infectieux qui n'avait pas été inactivé par le formol utilisé lors de la production du vaccin. Le virus SV40 se réplique dans les cellules de rein de singe rhésus, mais ne provoque pas de CPE sur ce type cellulaire, ce qui explique pourquoi ce contaminant n'avait pas été détecté dès le début de production du vaccin.

La présence d'anticorps spécifiques de l'antigène T du virus SV40 chez un grand nombre des premiers enfants ayant reçu le vaccin Salk contre la poliomyélite a indiqué que ces enfants avaient été contaminés par le virus SV40. Aucune incidence élevée du cancer n’a été trouvé chez ces personnes, démontrant que ce virus n'est pas associé avec le développement de cancer chez l'Homme.

Bien que le virus SV40 soit un virus de singe qui n'a pas d'effet apparent sur son hôte naturel, il provoque les sarcomes lorsqu'il est injecté à des hamsters jeunes. Les cellules tumorales de hamster ne produisent pas de virus infectieux.

Les Polyomaviridae humains
Les deux premières souches de Polyomavirus humains, connus sous le nom BK et JC ont été isolées en 1971. La souche BK a été isolée à partir de l'urine d'un patient greffé du rein, et la souche JC a été isolée à partir du cerveau d'un patient atteint de lymphome de Hodgkin, qui a progressé vers une leuco encéphalopathie multifocale progressive (LEMP). Les virus BK et JC provoquent des tumeurs lorsqu'ils sont injectés dans les animaux, bien qu’aucun des deux virus ne provienne d'une tumeur.

70 à 80% de la population humaine est séropositif pour virus JC. Ce virus est connu pour être la cause de la LEMP, une maladie associée à l'immunosuppression. En 1979, l'incidence de cette maladie était de 1,5 pour 10 millions d'habitants. Il est devenu beaucoup plus fréquent à cause de l'épidémie du SIDA et est vu chez 5% des patients atteints d'un SIDA clinique. Bien entendu, un traitement antirétroviral efficace permet de maintenir les fonctions immunologiques chez les personnes séropositives pour le VIH, et élimine donc le risque de survenu de la LEMP.

Le virus BK est une cause importante de néphropathie menant à l'échec de la greffe chez les transplantés rénaux sous traitement immunosuppresseur. La quasi-totalité de la population dans les pays occidentaux possède des anticorps anti-virus BK avant l'âge de 10 ans.

Trois autres virus polyoma humains ont été récemment décrit: les virus KI, WU et le Polyomavirus à cellules de Merkel. Ce dernier virus provoque un cancer rare de la peau (le carcinome à cellules de Merkel, voir encadré).

Les Polyomaviridae sont généralement lytiques et lorsque la transformation se produit, c'est parce que la cellule hôte est non-permissive pour l'infection virale. Après l'intégration dans l'ADN de l'hôte, seuls les gènes précoces sont transcrits en ARNm et exprimés sous forme de protéine. Les protéines virales précoces sont les antigènes tumoraux des Polyomaviridae. Parce que l'expression des gènes codant pour les antigènes tumoraux est essentiel pour la transformation des cellules, ils peuvent être classés comme des oncogènes. Chez l'hôte naturel de ces virus, les cellules sont permissives pour l'infection virale. Dans ce cas, même si les oncogènes viraux sont exprimés chez la cellule infectée, l'aboutissement du cycle de réplication viral implique la lyse de la cellule, qui ne persiste donc pas dans un état transformé.
 

adeno1.gif (36650 bytes) Adenovirus © Dr Stephen Fuller 1998

adeno2.gif (35105 bytes)  Adenovirus en microscopie électronique à transmission. © Dr Linda M. Stannard 1995 (reproduit avec permission)
Figure 16

 

Adenoviridae

Les Adenoviridae sont des virus non-enveloppés (Figure 16), ayant des capsides d'un diamètre de 90nm – soit un peu plus grand que les Polyomaviridae et les Papillomaviridae - et leur génome en ADN double brin linéaire est d'environ 35 kilobases de longueur. Ils ont été initialement isolés à partir d'amygdales et des végétations adénoïdes humaines, et ils sont très oncogènes chez les animaux. Chez les cellules tumorales, seule une partie du génome viral est intégré dans l'ADN chromosomique de l'hôte. Cette partie comprend plusieurs gènes précoces qui sont nécessaires pour la réplication de l'ADN viral au cours de l'infection. Comme pour les Polyomaviridae, l'induction de cancers par les Adenoviridae semble être la conséquence d'une infection abortive chez les cellules qui ne sont pas permissives pour la réplication virale. Chez l'hôte naturel des adénovirus (c'est à dire Homo sapiens) la réplication mène à la lyse, et non pas à la transformation maligne de la cellule infectée. Ainsi, aucun cancer humain n'est associé à une infection par un adénovirus.

Les antigènes viraux exprimés par les tumeurs sont des oncogènes

Les tumeurs provoqués par les Adenovirus ou des Polyomavirus contiennent de l'ADN viral, mais ne produisent pas de virus infectieux. Par contre, la présence des antigènes viraux induit la formation des anticorps contre les protéines virales exprimées par la tumeur. Dans le cas des Adénovirus, seule une partie du génome viral est intégrée dans l'ADN génomique des cellules tumorales. Dans le cas du virus SV40, même si le génome viral en entier peut s'intégrer, seule la région codant pour l'expression des gènes précoces du virus est exprimée par les cellules tumorales.

Les gènes précoces des petits virus à ADN (Polyomaviridae, Papillomaviridae, et Adenoviridae) codent pour des protéines qui préparent la cellule hôte pour la production des virus, et notamment pour la réplication de l'ADN viral. Les gènes tardifs, en revanche, sont impliqués dans la formation et la libération des particules virales, et sont exprimés après la réplication de l'ADN viral. Puisque les gènes précoces sont nécessaires pour la réplication de l'ADN viral, il n'est peut-être pas surprenant qu'ils sont également capables de stimuler la réplication de l'ADN de la cellule hôte.

Les protéines précoces du virus SV40 sont les protéines "T" et "t" (antigènes "Grand T" et "Petit t"). L'antigène T stimule la réplication de l'ADN viral en se fixant sur l'origine de réplication de l'ADN viral, et en recrutant l'ADN polymérase  au site d'initiation de réplication virale. De plus, l'antigène T se fixe sur (et inactive) les protéines cellulaires p53 et p105-Rb (pour Rétinoblastome) qui jouent un rôle clé dans le contrôle de la réplication de l'ADN cellulaire. Cette fonction de l'antigène T induit la transition de la cellule hôte de la phase G0 vers la phase S du cycle cellulaire. Les Polyomaviridae (comme la plupart des petits virus à ADN) doivent induire l'entrée de la cellule dans la phase S car ils sont dépendants de multiples facteurs cellulaires impliqués pour la réplication de l'ADN viral.

En résumé, l'antigène T du virus SV40:

− est nécessaire pour la transformation maligne d'une cellule
− se fixent sur et inactive les protéines p53 et p105-Rb
− stimule la réplication de l'ADN virale et cellulaire
− se trouve majoritairement dans le noyau
− peut se fixer sur l'ADN cellulaire, si l'origine de réplication virale est intégrée dans l'ADN cellulaire

L'antigène "petit t", quant à lui, inhibe l'activité enzymatique de la famille de phosphatases PP2A. Etant donné que les phosphatases PP2A sont des facteurs de régulation négatifs du cycle cellulaire, l'inhibition de PP2A lève l'arrêt du cycle cellulaire.

Chez les tumeurs induites par les Adénovirus, la région du génome viral intégrée dans l'ADN cellulaire code pour les protéines précoces E1A et E1B. La protéine E1A interagit avec la protéine cellulaire p105-Rb, tandis que la protéine E1B se fixe sur protéine cellulaire P53, et l’inactive.

Ainsi, les mécanismes par lesquels les Polyomaviridae et les Adenoviridae provoquent la transformation cellulaire se ressemblent. Dans les deux cas, l'événement essentiel est l'intégration des gènes précoces dans l'ADN de la cellule hôte, et l'expression constante de ces gènes en l'absence de production des protéines tardives. L’interaction entre les protéines précoces virales et les protéines cellulaires jouant des rôles clés dans le contrôle de la réplication de l'ADN et la division cellulaire induit la prolifération cellulaire effrénée caractéristique d'une cellule cancéreuse. Ces gènes précoces des virus à ADN sont donc des oncogènes viraux.

Il est important de souligner deux caractéristiques des oncogènes des virus à ADN qui les distinguent des oncogènes rétroviraux:

− Ce sont des gènes véritablement viraux. Ils n'ont pas d'homologue dans le génome de la cellule hôte.
− Ils remplissent des fonctions essentielles dans le cycle de réplication viral. Ils sont notamment nécessaires pour permettre la réplication de l'ADN viral, et un virus transformant à ADN chez qui l'oncogène viral est délété ne peut pas se répliquer.
 

protonc.jpg (94362 bytes)   

Des mutations dominantes correspondent à une gain de fonction.

antionc.jpg (101963 bytes)  Des mutations récessives correspondent à une perte de fonction.
Figure
17

 

rbadeno.jpg (85811 bytes) P105 RB et la protéine E1A de l'adénovirus 
Figure 18

P53 et son inactivation par le virus de l'hépatite C et les papillomavirus
Figure 19

 

 

Les anti-oncogènes (gènes suppresseurs de tumeur)

Les virus transformants à ADN portent des oncogènes comme l'antigène T du virus SV40, mais comment se fait-il que ces gènes viraux, sans homologues cellulaires, provoquent la formation de tumeurs?

Il est connu que la plupart des tumeurs sont le résultat d'une mutation dominante. C'est à dire que la cellule acquiert une fonction qui la pousse à se diviser quand elle ne devrait pas (Figure 17). Par exemple, les mutations dans un récepteur à activité tyrosine kinase comme erb-B qui rendent l'activité tyrosine kinase constitutive induiront une croissance cellulaire aberrante, même si une seule des copies alléliques de cet oncogène cellulaire est touchée. L'allèle muté est donc dominant sur l'allèle sauvage.

 

 


Le rétinoblastome – une tumeur récessive

Il existe une classe de tumeurs qui ne respectent pas la règle générale concernant la dominance des mutations transformantes. Dans le cas du forme héréditaire du rétinoblastome, la lésion génétique (tombant dans le gène RB1) provoquant le cancer est récessive – ce qui indique qu'elle est associée à une perte de fonction du gène. Des mutations "perte de fonction" sont récessives car il faut des lésions génétiques dans les deux copies alléliques du gène pour inactiver la fonction du gène. Un organisme, ou une cellule, hétérozygote pour la mutation possède toujours un phénotype normal.

Il semble donc que la fonction du gène RB1 est de supprimer ou de limiter la division cellulaire. Le gène RB1 est donc un gène suppresseur de tumeur, ou anti-oncogène. En présence d'une mutation du gène RB1 à l'état homozygote, le produit de gène RB1 sera totalement absent, et la cellule croîtra de façon anormale, car le suppresseur de croissance n'est plus présent. En revanche, à l'état hétérozygote, la copie non-muté du gène RB1 reste fonctionnelle, et la croissance cellulaire peut être contrôlée normalement. Le produit du gène RB1 a été identifié. Il s'agit d'une protéine nucléaire d'un poids moléculaire de 105 kDa appelée p105-Rb.

Précédemment, nous avons noté que le gène précoce de l'adénovirus E1A, qui est nécessaire pour la formation de tumeurs par ce virus, forme un complexe avec la protéine p105-Rb (Figure 18). Il semble donc que l'activité transformant de l'adénovirus est due à l'inactivation d'un anti-oncogène cellulaire. Le même mécanisme est impliqué dans la formation de tumeurs par le virus SV40, car l'antigène T également inactive la protéine p105-RB.

La protéine p53 et le cancer humain

La protéine p53 fut identifiée en 1979 chez les cellules de rongeur transformées par le virus SV40, et son nom fut dérivé de l'observation qu'il s'agissait d'une protéine cellulaire de 53 kDa associée à l'antigène T du virus SV40. Par la suite, des mutations dans le gène TP53 (qui code pour la protéine p53) ont été retrouvées dans de nombreux types de cancer. En effet, les altérations, ou la perte totale, du gène TP53 semblent impliquées dans le développement de la majorité des cancers humains. Par exemple, l'on estime que le gène TP53 est touché chez 80% des cancers du côlon, et même chez 60% des cancers (tous types confondus).

Initialement, on pensait que le produit du gène TP53 agissait comme un oncogène, mais des recherches plus approfondies ont montré le contraire; la protéine p53 est, comme la p105-Rb, un suppresseur de tumeur. La protéine p53 a même été désignée comme le "Gardien du Génome" car elle régule les multiples composants du système de contrôle de dommage à l'ADN.

Quel est le fonctionnement de la protéine p53 dans une cellule normale? A l'état de base, il y a seulement quelques copies de la protéine p53 présentes dans une cellule saine, et celles-ci sont constamment renouvelées, par une dégradation constitutive de la protéine p53. Par contre, si une cellule commence à se diviser après avoir subi un traitement qui endommage l'ADN (par exemple, une exposition aux rayonnements UV, ou un traitement par des mutagènes chimiques), la dégradation de la p53 cesse et le niveau de protéine p53 augmente. L'augmentation du niveau de la p53 arrête la réplication de l'ADN, et bloque la progression du cycle cellulaire.

La protéine p53 est un facteur de transcription. Quand elle s'accumule, la p53 se fixe à des sites spécifiques sur les chromosomes et induit l'expression d'autres gènes qui eux, arrêtent la mitose. L'accumulation de la p53 peut également déclencher l'apoptose. Le choix entre l'arrêt du cycle cellulaire et l'induction de l'apoptose dépend de l'état d'activation cellulaire ; par exemple, la présence de nombreuses lésions d'ADN non réparées peut conduire à la production soutenue de p53 qui condamne la cellule à la mort par apoptose.

Le syndrome Li-Fraumeni est une maladie héréditaire rare provoquée par des lésions dans le gène TP53. Les personnes atteintes ont un risque fortement accru du développement de multiples types de cancer. Dans la plupart des cas, une mutation ponctuelle résulte en l'expression d'une forme tronquée de la protéine p53 qui est incapable de se lier à son site de fixation sur l'ADN, et donc ne peut pas arrêter la réplication de l'ADN et le cycle cellulaire. Comme pour le gène RB1 on pourrait s'attendre à ce que les mutations dans TP53 soient récessives, car l'allèle sauvage présent dans une cellule hétérozygote, ayant conservé sa fonction, devrait être capable de bloquer la réplication de l'ADN. Néanmoins, le syndrome Li-Fraumeni est une maladie génétique dominante – ce qui indique que la fonction du p53 est inhibée même chez les cellules (et chez les individus) hétérozygotes. Les mutations dans le gène TP53 sont dominantes car la forme fonctionnelle de la protéine p53 est un homo-tétramère. Les tétramères qui incorporent une copie mutée de p53 sont inactifs (même si les trois autres copies de p53 dans le tétramère sont normales), ce qui mène à un effet dominant-negatif des mutations dans TP53.

Puisque les mutations héréditaires dans TP53 sont très rares, il est clair que la majorité des mutations de TP53 chez les cellules cancéreuses sont des mutations ponctuelles somatiques induites par des facteurs environnementaux tels que les rayonnements UV, les aflatoxines (produites par des moisissures sur du maïs ou sur la pâte d'arachide), ou le benzopyrène dans la fumée des cigarettes. Certaines de ces mutations dotent la protéine p53 de nouvelles fonctions aberrantes, comme une résistance accrue à l'apoptose, et ces mutations sont associées avec le développement de tumeurs très agressives.

Quelle est la relation entre les mutations dans TP53 et les virus transformants à ADN ? Comme pour la protéine p105-Rb, les virus transformants à ADN doivent inactiver la protéine p53 afin de permettre la réplication de leur ADN. Ainsi, le virus SV40 (antigène T), les adénovirus (protéine E1B), et les papillomavirus (protéine E6) expriment les protéines précoces qui se fixent sur la protéine p53 et l'inactivent ou alors provoquent la dégradation de la p53 (Figure 19).

 

  Résumé – Virus transformant, oncogènes et anti-oncogènes

Chez les rétrovirus à fort potentiel transformant, le virus porte un oncogène viral, qui est une forme mutée d'un oncogène cellulaire. La présence de l'oncogène viral rend ce type de virus incapable de se répliquer de façon autonome.

Chez les rétrovirus à faible potentiel transformant, l'intégration du génome viral à proximité d'un oncogène cellulaire active l'expression de ce dernier. Le virus ne porte pas d'oncogène viral – il est donc capable de se répliquer de façon autonome.

Chez les virus transformant à ADN, un ou plusieurs gènes précoces du virus inactivent les anti-oncogènes cellulaires p53 et p105-Rb. L'inactivation de ces protéines cellulaires est essentielle pour le virus, car cela permet la réplication de l'ADN viral. La carcinogénèse est liée à l'intégration d'une partie du génome viral dans l'ADN cellulaire, dans le cadre de l'infection d'une cellule non-permissive pour le virus.

Par la suite, nous verrons à quel point ces trois mécanismes d'induction de cancer par des virus dans des systèmes modèles sont pertinents pour les cancers humains associés aux infections virales.
 

 

papilloma1.gif (289018 bytes)  Papilloma virus Copyright 1994 Veterinary Sciences Division, Queens University Belfast  

papilloma2.gif (10784 bytes)  Papilloma virus © Dr Linda M. Stannard 1995 (reproduit avec permission)

papilloma3.gif (15776 bytes) Papilloma virus. Image de microscopie électronique colorisée par ordinateur. Tous les 72 capsomères sont des pentamères de la protéine de capside majeurs. © Dr Linda M. Stannard 1995 (reproduit avec permission)

Figure 20

epidermo.gif (48292 bytes)  Epidermodysplasia verruciformis. Cette éruption erythémateuse étendue, avec prurite était provoquée par une infection au HPV. International Association of Physicians in AIDS Care


 Epidermodysplasia verruciformis. Lésions verruciformes hypérkératosées sur le dos de la main.


Epidermodysplasia verruciformis. Vue histopathologique: Koliocytes et dysplasie modérée dans l'épiderme. (coloration Hématoxyline-Eosine x100). D'après Reza Mahmoud Robati MD, Afsaneh Marefat MD, Marjan Saeedi MD, Mohammad Rahmati-Roodsari MD, Zahra Asadi-Kani MD. Dermatology Online Journal 15 (4): 8, 2009 (utilisé sous licence Creative Commons)

epidermo.jpg (15056 bytes) Carcinome verruciforme. L'épithélium montre une maturation de surface, parakératose et hypérkératose, en l'absence de cellules atypiques. On distingue un léger infiltrat inflammatoire chronique. D'après le Johns Hopkins Autopsy Resource (JHAR) Image Archive.  
Figure
21

Figure 22
Verrues dans la région anale du périnée. Les verrues génitales  (Condylomata acuminata) sont des maladies sexuellement transmissibles provoquées par le virus du papillome humain (HPV) CDC

 

 

 

 

 

 

 

Virus provoquant des cancers humains

Papillomaviridae

Généralités
Les Papillomaviridae sont de petits virus à ADN icosaédriques non-enveloppés (Figure 20). La protéine majeure de capside, VP1, est présente sous forme de 72 pentamères dont chaque pentamère est associé à une molécule d'une protéine de capside mineure, soit VP2 ou VP3. L'ADN est complexé avec des protéines histones codées par la cellule hôte.

Les papillomavirus ont un génome en ADN double brin circulaire d'environ 8 kilobases de longueur, codant pour 7 protéines précoces (E1 à E7) et les protéines tardives formant la capside (VP1, VP2/3). Ils provoquent des verrues et des cancers chez l'Homme ainsi que chez l'animal.

Il existe plus de 100 génotypes de virus du papillome humain (HPV), dont la plupart ne sont pas associés aux cancers. Ceci dit, il a été estimé que les différents HPV sont responsables de 16% des cancers féminins dans le monde et de 10% de l'ensemble des cancers.

Cancers associés aux Papillomaviridae
Les HPV qui provoquent des verrues ne sont généralement pas associés aux cancers, mais dans certains cas, des verrues peuvent se convertir en carcinomes malins. Cela se produit, par exemple, chez les patients atteints d'épidermodysplasie verruciforme.

L'épidermodysplasie verruciforme (Figure 21), également connu comme la dysplasie Lewandowsky-Lutz, est une maladie très rare. Il s'agit d'une mutation autosomique récessive dans les gènes EVER1 ou EVER2, qui permet une réplication anormale et incontrôlée du virus du papillome. Cela se traduit par la croissance de macules et papules squameuses sur de nombreuses parties du corps, mais surtout sur les mains et les pieds. L'épidermodysplasie verruciforme, qui est associée à un risque élevé de carcinome cutané, est généralement associée aux HPV de type 5 et 8 (mais d'autres types peuvent également être impliqués). Ces virus sont très répandus (infectant jusqu'à 80% de la population) et provoquent des infections qui sont généralement asymptomatiques chez le sujet sain.

Les papillomavirus sont également associés à des carcinomes du pénis, de l'utérus, du col de l'utérus et de l'anus, et les verrues génitales (Figure 22) peuvent parfois évoluer en carcinomes.
Les carcinomes du larynx, de l'œsophage et du poumon ressemblent fortement au carcinome cervical sur le plan histologique, et un fort lien de causalité entre certains cancers oro-pharyngés et le virus HPV16 a été démontré.

Les cancers vulvaires, ceux du pénis et du col de l'utérus sont associés aux HPV de type 16 et 18 (et dans un moindre degré HPV types 31, 33 et 45) mais les HPV génitaux les plus courants sont les HPV de types 6 et 11. Comme on pouvait s'y attendre si elles sont en effet les causes de certains cancers, les types 16 et 18 sont capables de transformer des kératinocytes humains en culture cellulaire. Dans une étude allemande, il a été montré que 1 femme sur 30 infectées par le HPV de type 16 développera une maladie maligne tandis que 1 personne sur 500 infectées développera un cancer du pénis ou de la vulve. Étant donné que toutes les personnes infectées ne développent un cancer, il y a probablement d'autres cofacteurs qui jouent un rôle important dans l'évolution de la maladie. Les personnes infectées par le VIH ou atteints d'un SIDA clinique ont un risque accru de cancers associés au HPV comme les patients atteints d'autres formes d'immunosuppression.

L'observation qu'un virus se trouve généralement en association avec une maladie (souvent, dans le cas des tumeurs, la présence d'une copie du génome viral dans les cellules néoplasiques) ne prouve pas que ce virus a causé le cancer. Par exemple, l'hypothèse selon laquelle la présence du virus dans les cellules tumorales serait une conséquence (plutôt que la cause) de la transformation maligne, est également cohérente avec ce type de données. Néanmoins, dans de nombreux cas, les données épidémiologiques sont très convaincantes (par exemple, le HPV est présent dès les premiers stades du développement du cancer, et donc sa présence ne peut pas être une conséquence de la transformation maligne, qui survient plus tardivement). De plus, l'efficacité du vaccin anti-HPV dans la prévention du cancer du col de l'utérus constitue une démonstration indéniable du rôle causal de l'infection virale dans le développement de ce cancer.


Mécanismes moléculaires impliqués dans la carcinogénèse
Comme les Polyomaviridae, les Papillomaviridae ont besoin de manipuler le cycle cellulaire de la cellule hôte pour assurer la réplication de l'ADN viral. Chez les HPV à fort potentiel transformant (notamment, les HPV de type 16 et 18) les protéines précoces E6 et E7 possèdent des fonctions analogues à celles de l'antigène T du virus SV40. La protéine E6 interagit avec la p53, et induit sa dégradation par le protéasome, tandis que la protéine E7 interagit avec plusieurs protéines cellulaires impliquées dans la régulation du cycle cellulaire, y compris la p105-Rb.

L'expression continue des protéines E6 et E7 lors d'une infection par HPV à fort potentiel transformant mène à une dysplasie des cellules épithéliales infectées, caractérisée par des lésions histologiques de bas grade, détectable par frotti cervical.

L'intégration de la région “précoce” du génome du HPV dans l'ADN de la cellule hôte semble précéder la progression des lésions dysplasiques de bas grade vers des néoplasies malignes, et chez plus de 90% des carcinomes du col de l'utérus, l'ADN viral est intégré dans l'ADN cellulaire. Puisque cette intégration est un événement aléatoire qui ne fait pas partie du cycle de réplication viral, elle ne survient pas systématiquement, et la majorité des lésions de bas grade ne vont pas progresser vers un état cancéreux.

 

herpes.gif (48070 bytes)  Herpesvirus en microscopie électronique à transmission. © Dr Linda M. Stannard 1995 (reproduit avec permission)


herpes2.gif (9908 bytes)  Capside du virus Herpes Simplex, d'après F.P.Booy, W.W.Newcomb, B.L.Trus, J.C.Brown, T.S.Baker, and A.C.Steven, in CELL, Vol 64 pp 1007-1015, March 8, 1991


Virus Herpes Simplex en microscopie électronique à transmission (x169 920) © Dennis Kunkel Microscopy inc. (reproduit avec permission).

Figure 23

  Figure 24A 
Virus Epstein-Barr

burkitta.jpg (19017 bytes)  Figure 24B
Lymphome de Burkitt provoqué par le virus Epstein-Barr (D'après le Johns Hopkins Autopsy Resource (JHAR) Image Archive.)

Figure 24C
Distribution mondiale du lymphome de Burkitt.

EBVNEG-an.jpg (88467 bytes) 
B
EBVPOS-an.jpg (88993 bytes) Figure 24D
Frottis sanguins d'un individu sain (A) et d'un patient atteint d'une mononucléose (B). © Gloria J. Delisle and Lewis Tomalty, Queens University Kingston, Ontario, Canada and The Microbe Library

Figure 24E
Etape précoce de leucoplasie orale chevelue (OHL) sur le bord latéral de la langue. L'infection par le VIH réduit la réactivité immunologique, et l'environnement intra-orale est une cible de choix pour les infections chroniques secondaires et les processus inflammatoires, y compris la leucoplasie orale chevelue, qui est provoquée par le virus d'Epstein-Barr dans des conditions d'immunosuppression.
 

Figure 24F
Cytomegalovirus en microscopie électronique à transmission (x49,200) CDC

 

 

Gammaherpesvirinae

Les Herpesviridae (Figure 23) sont beaucoup plus grands que les Papillomaviridae et le Polyomaviridae, ayant des génomes de 100 à 200 kilobases de longueur. En raison de leur grande taille, il reste encore beaucoup à découvrir au sujet de la façon dont ces virus transforment des cellules.

Parmi les différents Herpesvirus qui infectent l'Homme, les virus Epstein-Barr (EBV, ou HHV4 Figure 24A) et le virus associé au sarcome de Kaposi (KSHV, ou HHV8) sont impliqués dans le développement de cancers humains. Ces deux virus constituent la sous-famille des γ-Herpesvirinae, et la capacité à induire des cancers est l'un des nombreuses ressemblances entre ces deux virus.


Epstein-Barr virus (Human Herpesvirus 4 - HHV4)

Le HHV4 infecte principalement les lymphocytes B et les cellules épithéliales. Comme tous les Herpesviridae, le HHV4 a la possibilité d'alterner entre des cycles d'infection lytique, et des infections latentes. L'infection des cellules épithéliales est généralement lytique, et le virus est activement produit par des cellules épithéliales infectées, tandis que l'infection des lymphocytes B mène à une infection latente, caractérisée par l'expression d'un nombre limité des gènes viraux.

L'infection par le HHV4 est extrêmement fréquente – aux Etats-Unis, plus de 80% de la population est séropositive pour le HHV4 avant l'âge de 20 ans. Les infections lors de la jeune enfance sont le plus souvent asymptomatiques, ou sous-cliniques, tandis que les infections chez l'adolescent ou chez l'adulte peuvent provoquer la mononucléose infectieuse, une infection des lymphocytes B qui provoque une prolifération bénigne de ceux-ci (Figure 24D), qui se résout spontanément chez des individus immunocompétents. Dans le cas d'une immunosuppression (par exemple, chez les personnes atteintes du SIDA), l'infection par le HHV4 peut provoquer la leucoplasie chevelue buccale ("Oral Hairy Leukoplakia", ou OHL - Figure 24E). Chez des individus porteurs d'une lésion génétique rare, l'infection par le HHV4 provoque la maladie lymphoproliferative liée au chromosome X, (aussi connu comme "Maladie de Duncan"), caractérisée par une hyperactivation du système immunitaire, liée à l'incapacité de contrôler l'infection par le HHV4.

Néanmoins, l'infection par le HHV4 est associée à plusieurs cancers:

Le cancer du nasopharynx, particulièrement en Chine et en Asie du sud-est. Un cofacteur alimentaire semble être responsable de la distribution géographique de ce cancer.

Le lymphome de Burkitt (Figure 24B), qui est un lymphome pédiatrique de cellules B observé aux zones tropicales, et en particulier dans les zones où le paludisme est endémique (Figure 24C).

Le lymphome de Hodgkin (encore un lymphome de cellules B). L'ADN viral est présent dans les cellules malignes chez environ 40% des patients touchés.

Des lymphomes B non-Hodgkiniens chez les patients immunodéprimés – notamment chez les receveurs de greffe d'organe, ou chez les patients atteints du SIDA.


L'un des objectifs des études sur le HHV4, est de comprendre pourquoi ce virus provoque des maladies bénignes chez la grande majorité des personnes infectées, mais peut causer des cancers chez d'autres.

Mécanismes moléculaires de carcinogénèse

Le HHV4 provoque des lymphomes chez le marmoset (un membre des Platyrrhini, les singes du nouveau monde), et il est capable de transformer des lymphocytes B humains in vitro. Dans les lymphocytes B infectés, un nombre restreint de gènes viraux (codant pour 9 protéines de latence, et deux ARNs non-codant) sont exprimés, et le génome viral est maintenu sous forme d'épisome (c'est à dire, de l'ADN double-brin circulaire, non-intégré dans le génome de la cellule hôte). Les protéines de latence induisent la prolifération de la cellule infectée. En particulier, la protéine LMP1, insérée dans la membrane plasmique de la cellule infectée, agit comme un oncogène viral, car elle active de multiples voies de signalisation intracellulaire qui induisent la prolifération, et inhibent l'apoptose (c'est à dire, la mort cellulaire programmée) de la cellule infectée.

La prolifération des lymphocytes B infectés de façon latente par le HHV4 est directement responsable de la mononucléose. Chez les personnes immunocompétentes, la présence de protéines virale dans les lymphocytes B infectées permet leur élimination par le système immunitaire, et la disparition des symptômes. Néanmoins, d'autres lymphocytes B infectés, qui expriment une seule protéine virale (l'antigène nucléaire EBNA-1) persistent, et l'infection latente est maintenue tout le long de la vie de la personne infectée.

Le développement d'une prolifération maligne des lymphocytes B suite à une infection par le HHV4 nécessite la présence d'une ou de plusieurs cofacteurs, qui sont:

L'immunosuppression

Dans ce cas, les lymphocytes B exprimant les protéines de latence du virus ne peuvent pas être éliminés par la réponse immune, et la prolifération bénigne de ces cellules peut basculer vers une prolifération maligne. Le résultat est le développement d'un lymphome B chez les sujets immunodéprimés.

L'activation de l'oncogène cellulaire c-myc par translocation

Les cellules malignes du lymphome de Burkitt sont caractérisées par la présence d'une translocation chromosomique entre le chromosome 8 et le chromosome 14, qui met le gène c-myc à proximité du gène codant pour la chaîne lourde des immunoglobulines. Le gène c-myc est donc exprimé de façon constitutive, ce qui engendre la prolifération cellulaire, même en l'absence de l'expression de l'oncogène viral LMP1.
Il a été proposé que l'hyperstimulation de la réponse immunitaire provoquée par des infections à répétition au Plasmodium falciparum (le parasite responsable du paludisme) augmente la probabilité de la survenue de la translocation 8:14, ce qui expliquerait l’association épidémiologique entre l'incidence du lymphome de Burkitt et le paludisme. Il a aussi été observé que l'aire de répartition de la plante Euphorbia tirucalli correspond aux zones d'Afrique où la prévalence du lymphome de Burkitt est élevée. Des produits naturels présents dans la sève de la plante sont capables d'induire des translocations chromosomiques, y compris les translocations du chromosome 8 entraînant l'activation de l'oncogène c-myc. Dans ce cas, l'exposition à un carcinogène chimique produit par l'E.tirucalli serait un cofacteur important dans l'étiologie du lymphome de Burkitt.
 

 
Kaposi Sarcoma Herpes Virus (Human herpes virus 8)

Le HHV8 infecte des lymphocytes et les cellules épithéliales et endothéliales. Il est l'agent causal du sarcome de Kaposi, qui est caractérisé par une hyperplasie des cellules endothéliales. Il est également associé à un certain nombre de cancers hématologiques, y compris la maladie de Castleman (parfois mal-épelé "Castelman") multifocale, et le lymphome primitif des séreuses (un lymphome diffus à grandes cellules B). Tous les cancers provoqués par le HHV8 sont des cancers relativement rares.

Le HHV4 et le HHV8 sont aussi associées à des lésions et les tumeurs buccales chez les patients infectés par le VIH. Parmi ces maladies, la leucoplasie chevelue buccale est une maladie bénigne qui provoque des épaississements blancs sur l'épithélium de la langue contenant des foci de réplication virale (Figure 24E).

En Amérique du nord, l'Europe du nord et en Asie, la séroprévalence du HHV8 est inférieur à 5%. Elle est supérieure à 50% dans l'Afrique sous-saharienne, et environ 30% dans le bassin méditerranéen. Même dans les zones endémiques pour l'infection par le HHV8, l'incidence des cancers associés à ce virus est faible, ce qui implique que l'immense majorité des infections à HHV8 ne résultent pas en un cancer. Par exemple, en l'absence d'infection par le VIH, seul 1/5000 à 1/20000 des personnes séropositives pour la HHV8 vont développer un sarcome de Kaposi.

Mécanismes moléculaires de carcinogénèse

Le génome du HHV8 code pour plusieurs oncogènes viraux impliqués dans la transformation des cellules infectées. Notamment, le gène LANA-1 interagit avec les protéines cellulaires p53 et p105Rb et modifie la régulation du cycle cellulaire chez les cellules infectées. La protéine LANA-1 du HHV8 joue donc un rôle semblable à celui de l'antigène T du virus SV40. D'autres oncogènes viraux du HHV8 induisent la prolifération cellulaires, et inhibent la mort apoptotique des cellules infectées.

Comme pour le HHV4, l'immunosuppression est un cofacteur important pour le développement de cancers liés au HHV8. Par exemple, en l'absence d'une co-infection par le VIH, il a été estimé que seulement 1 sur 5000 à 1 sur 20 000 des personnes infectées par le HHV8 vont développer un sarcome de Kaposi. Chez les personnes infectés par le VIH et le HHV8, le risque de développer un sarcome de Kaposi augmente avec la progression de l'infection par le VIH – plus le taux de lymphocytes T CD4+ est bas, plus le risque de développement de sarcome de Kaposi est élevé.
 

  Lymphocyte T humain infecté par le HTLV-1. Le virus se trouve en amas en haut à droite (coloration mauve clair). © Dennis Kunkel Microscopy, Inc. (reproduit avec permission)
Figure 25

 

 

Retroviridae

Deux rétrovirus humains, le HTLV-1et le HTLV-2, sont associés avec le développement de cancers.

HTLV-1

Le HTLV-1 (Figure 25) a été isolé en 1980 par l'équipe de R. Gallo à partir d'un prélèvement d'un patient afro-américaine. Il est associé avec la leucémie T de l'adulte (ATL). Les régions avec la plus forte prévalence de l'infection sont les îles sud-ouest de l'archipel japonais (12 à 16% de la population infectée), les caraïbes (2 à 6% de la population infectée), l'Amérique latine, l'Afrique équatoriale, le nord-est de l'Iran et le Mélanésie. De plus, l'infection par le HTLV-1 est observée à un taux beaucoup plus élevé que celle de la population générale chez les peuples autochtones australiens et des Inuits du Canada.
Dans toutes les régions touchées par le virus, la séroprévalence augmente avec l'âge, en particulier chez les jeunes femmes.
Au niveau mondial, on estime que 15 à 20 millions de personnes sont infectées par le HTLV-1, et 2 à 10% de ces personnes vont développer une maladie associée à ce virus.

Dans la région des Caraïbes, le virus est associé à un neuromyélopathie connu sous le nom paraparésie spastique tropicale (TSP) et aussi avec la dermatite infectieuse. Au Japon, le HTLV-1 provoque une maladie semblable à la TSP appelée "myélopathie associée au HTLV" (HAM). Au Japon, le HTLV -1 est également associée à une uvéite. D'autres maladies associées au virus sont l'arthrite et la polymyosite.

La TSP est une maladie qui affecte la matière blanche et grise de la moelle épinière (une myélopathie). Il s'agit d'une maladie inflammatoire chronique et progressive qui provoque une spasticité progressive des jambes, l'incontinence et la constipation. Environ 1 à 4 % des patients infectés par le HTLV-1 vont développer une TSP.

Le HTLV-1 se transmet par trois voies principales:

i. Transmission mère à l'enfant via l'allaitement. Environ 15 à 20% des enfants nourris par le lait maternel des femmes séropositives pour le HTLV-1 sont infectés. Ces enfants deviennent des porteurs chroniques du virus.
ii. Sexuelle: La transmission homme-femme est plus fréquent qu'inversement. Puisque le nombre de partenaires sexuels augmente avec l'âge, la transmission sexuelle semble expliquer l'augmentation du taux de séropositivité avec l'âge observé chez les femmes. La transmission homme-homme lors des rapports sexuels est également observée.
iii. Des produits sanguins contaminés (transfusions sanguines)
 

 

Mécanismes moléculaires de carcinogénèse

L'ATL est un cancer qui se déclare au moins 20 à 30 ans après l'infection initiale par le HTLV-1. Il est généralement la conséquence d'une infection dès l'enfance - le développement d'un ATL suite à une infection à l'âge adulte est possible, mais il est rare. Le risque cumulé de développer un ATL à un moment dans sa vie chez les porteurs du HTLV-1 est de 6 à 7% chez les hommes, et de 2 à 3% chez les femmes. Le HTLV-1 n'est donc pas un rétrovirus à fort potentiel transformant, car la pénétrance est faible (c'est à dire que >90% des porteurs chroniques du HTLV-1 ne vont jamais développer un ATL), et le processus de carcinogénèse dure plusieurs décennies. L'absence d'un v-onc classique dans le génome du HTLV-1 est cohérente avec ces données épidémiologiques.

L'ADN proviral du HTLV-1 se retrouve intégré dans le génome des cellules leucémiques de l'ATL. Cependant, cette insertion ne semble pas activer un oncogène cellulaire, car les sites d'insertion de l'ADN proviral du HTLV ne sont pas à proximité d'un gène cellulaire en particulier. Le mécanisme de carcinogénèse n'est donc pas le même que chez les rétrovirus à faible potentiel transformant dans des systèmes modèles (comme par exemple le ALV).

La plupart des gènes viraux (gag, pol et env) ne sont pas exprimés chez les cellules leucémiques de l'ATL. Par contre les gènes accessoires du virus, tax et surtout HBZ, sont exprimés chez les cellules leucémiques. Il semble donc que ces deux gènes viraux puissent agir comme des v-onc, en particulier dans le cadre d'une infection abortive d'un lymphocyte T. Le rôle, et même l'existence, du gène HBZ furent longtemps ignorés, car ce gène est codé sur le brin anti-sens de l'ADN proviral tandis que tous les autres gènes – gag, pol, env, et les gènes de régulation sont codés sur le brin sens.

 

hep2.gif (61292 bytes) Particules du virus de l'hépatite B, montrant deux cores exposés (flèches)

hep3.gif (87435 bytes)  Particules du virus de l'hépatite B

hep4.gif (22924 bytes)  Représentation schématique des particules infectieuses du VHB (plus grandes - appelées particules de Dane), et des particules non-infectieuses (plus petites) composées uniquement de la antigène S du VHB.

hepatitis.gif (36800 bytes)
Particules du virus de l'hépatite B
Les quatre images © Dr Linda M. Stannard 1995 (reproduit avec permission)

Figure  26 

hepato-b.jpg (82335 bytes)  Cette femme est infectée par le virus de l'hépatite B et souffre d'un cancer du foie. Elle était un ressortissant cambodgien et mourut 4 mois après son arrivée dans un camp de réfugiés (l'espérance de vie moyenne après le diagnostic de cancer du foie est de 6 mois)
Coalition d'action pour l'immunisation (avec la permission de Patricia Walker, MD, Clinique Ramsey Associates, St. Paul, MN)

Figure 27

 
 

Les virus des hépatites chroniques

Le virus de l'hépatite B et le carcinome hépatocellulaire

Le virus de l'hépatite B (VHB, Figure 26), étant un virus de la classe VII de Baltimore, est un virus à rétrotranscription, et sa mode de réplication ressemble plus à celui des rétrovirus qu'à celui des virus transformant à ADN. Le virion renferme un génome en ADN circulaire, qui est transcrit en ARN dans la cellule infectée pour fournir non seulement des ARNm pour la production des protéines virales, mais également des copies du génome en ARN qui seront retranscrites en ADN par la transcriptase inverse du virus.
La biologie moléculaire et les pathologies liées au VHB sont décrites dans le chapitre 18 et la deuxième partie du chapitre 19.

Le VHB représente un immense problème de santé mondiale, car il fait partie des causes du carcinome hépatocellulaire (CHC, Figure 27), qui est l'un des cancers les plus fréquents au monde. Il existe une très forte corrélation entre l'antigenémie pour la glycoprotéine de surface du VHB (HbsAg) chez les porteurs chroniques du virus et l'incidence du CHC. Par exemple, au Taiwan le risque de développer un CHC est 217 fois plus élevé chez un porteur du VHB HbsAg+ que chez un non-porteur, et la cirrhose du foie et le CHC sont responsables de 51% des morts chez les individus infectés HbsAg+, tandis que ces pathologies touchent seulement 2% de la population générale.

Le virus de l'hépatite C et le carcinome hépatocellulaire

Le virus de l'hépatite C (VHC) faisant partie de la famille Flaviviridae est un virus ARN brin (+) avec une capside icosaédrique, enveloppée. Il est responsable des hépatites jadis appelés "non-A, non-B", et l'on estime qu'il y a plus de 200 millions porteurs de ce virus au niveau mondial. Bien que les cas d'hépatite aigüe mortels soient rares lors de la primo-infection, le VHC (comme le VHB) peut provoquer une hépatite chronique. L'infection chronique provoque une fibrose progressive du foie qui peut se développer en cirrhose et ensuite en CHC. La progression de la pathologie étant lente – la cirrhose et le CHC se déclarent jusqu'à 30 ans après l'infection initiale - seule une minorité (environ 5%) des patients atteints par une hépatite C chronique vont développer un CHC.

Mécanismes de carcinogénèse par les VHB et VHC

Les hépatites virales chroniques sont les causes principales du CHC, et l'on pense que ces virus sont responsables d'environ 70% des cas de ce cancer. D'autres facteurs de risque, comme la consommation d'alcool, sont également importants. Les mécanismes impliqués dans la formation des tumeurs semblent très complexes, et dans une cellule infectée par le VHB ou le VHC, les événements au niveau moléculaire qui rendent cette cellule cancéreuse ne sont pas encore bien établis. Néanmoins, les données indiquent que les protéines virales contribuent directement à la transformation. L'antigène "x" du VHB (Hbx), et la protéine du core et les protéines non-structurales du VHC semblent interagir avec une variété de protéines cellulaires, y compris les protéines p53 et p105-Rb. Cependant, ces observations ne constituent pas de preuve définitive que ces interactions moléculaires sont les causes de la transformation maligne.

La façon dont le VHB provoque des tumeurs est complexe; mais l'intégration du génome viral dans l'ADN de la cellule hôte se produit à un stade précoce de l'infection. L'expression des protéines virales HBx et l'antigène HBS modifie le contrôle de la réplication de l'ADN de l'hôte, et mène à la prolifération de la cellule – ces gènes peuvent donc être considérés comme des oncogènes viraux. Le gène suppresseur de tumeur TP53 est fréquemment inactivé, soit par la présence de mutations somatiques chez les cellules tumorales, soit par la fixation de la protéine HBx sur la protéine p53. Cependant, de multiples voies de signalisation intracellulaire sont modulées par les protéines du VHB dans le cadre du CHC, et le processus de carcinogénèse ne se résume pas à simplement l'inactivation de la protéine p53. L'expression des oncogènes viraux peuvent également augmenter la sensibilité des hépatocytes aux co-carcinogènes, tels que les aflatoxines, ou l'alcool.

Etant un virus à ARN de la famille des Flaviviridae (et non pas un rétrovirus), le matériel génétique du VHC n'est jamais transcrit en ADN, et ne peut donc pas s'intégrer dans le génome de la cellule hôte. Néanmoins, la protéine virale non-structurale NS5A, et la protéine C du virus interagissent avec de nombreuses protéines cellulaires, y compris la protéine p53. Les protéines virales ont donc la capacité d'inactiver des anti-oncogènes cellulaires.

L'initiation du CHC par le VHB semble se produire pendant les premières années de la vie, car la plupart des patients touchés par un CHC associé au VHB sont victimes d'une infection lors de l'enfance. En revanche, dans le cas du VHC, le CHC se déclare souvent à la suite d'une infection à l'âge adulte. Malgré une différence importante au niveau de la biologie moléculaire de ces deux virus – le VHB s'intègre dans le génome de la cellule hôte, tandis que le VHC ne le fait pas – le processus de carcinogénèse provoqué par ces deux virus peut être semblable. D'une part, les mutations dans le gène TP53 sont fréquentes chez les CHC induits par le VHB et par le VHC, et en l'absence de mutations de TP53, les protéines virales sont capables d'inactiver la protéine p53 normale. D'autre part, les deux maladies sont caractérisées par une inflammation chronique du foie, qui est un facteur important dans le développement de tumeurs.
 


  

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